- LIAISONS CHIMIQUES - Liaison hydrogène
- LIAISONS CHIMIQUES - Liaison hydrogèneLes propriétés chimiques des composés possédant des groupements OH mettent en évidence l’existence d’associations entre les molécules par l’intermédiaire de ces groupements. L’énergie de ces associations est en général beaucoup plus faible que les énergies rencontrées pour les liaisons entre les divers atomes dans les molécules, si bien que les deux molécules associées, tout en étant perturbées, restent reconnaissables dans l’édifice global et conservent chacune une certaine individualité. Ce phénomène d’association est très général; il peut se manifester entre un groupement AH (où A est un atome d’oxygène, d’azote, de soufre ou même de carbone) et un atome B, porteur d’au moins une paire libre d’électrons: oxygène, azote, halogènes... Les atomes A et B peuvent d’ailleurs appartenir à une même molécule; l’association se traduit alors par la formation d’un cycle.L’atome d’hydrogène du groupement AH étant situé à la jonction des deux édifices, on note l’association par quelques points placés entre l’atome H et l’atome B; on écrit A–H... B, symbolisant ainsi une sorte de liaison faible, appelée liaison hydrogène .Par la variété des divers couples d’édifices susceptibles de donner de telles associations, les liaisons hydrogène sont amenées à jouer un rôle extrêmement important en chimie, tant du point de vue structural que réactionnel. Mais c’est surtout dans le domaine de la chimie de la vie qu’elles manifestent le plus leur importance: d’une part, elles assurent la cohésion entre les diverses molécules constituant les tissus et, d’autre part, c’est à elles que l’eau doit ses propriétés exceptionnelles, sans lesquelles la vie ne serait pas concevable.1. Mise en évidence et étude expérimentaleGrâce à de nombreuses méthodes physiques, on peut mettre en évidence les liaisons hydrogène et déterminer leurs caractéristiques essentielles.Méthodes de diffractionL’étude des cristaux par la diffraction des rayons X, des électrons ou des neutrons permet de localiser la position moyenne des divers noyaux. Des résultats obtenus se dégagent trois faits essentiels: dans la majorité des cas, les atomes A, H et B sont alignés, la longueur de la liaison A–H est à peine supérieure à celle qu’elle avait dans la molécule isolée et le noyau H occupe une position très dissymétrique. Les formules ci-dessous montrent la disposition des molécules d’acide formique dans le dimère (en haut) ainsi que les caractéristiques de la molécule isolée (en bas):Méthodes thermodynamiquesDu point de vue thermodynamique, l’association entre molécules se traduit essentiellement par une élévation des points de fusion et d’ébullition. L’eau et les alcools bouillent à des températures plus hautes que ce que leur masse moléculaire laisserait prévoir. Par exemple, pour l’eau, si l’on extrapole les valeurs obtenues pour TeH2, SeH2 et SH2, on prévoit une température de fusion de l’ordre de 漣 100 0C et une température d’ébullition de 漣 80 0C. De même pour NH3 et FH.Une autre conséquence de telles associations est la miscibilité de substances possédant des groupements susceptibles de former des liaisons hydrogène. Si le solvant est lui-même associé, se dissoudront d’autant plus aisément des corps possédant des groupements A–H de même nature, par exemple l’eau dans l’alcool. Lors du mélange de ces deux substances, l’échange entre les molécules d’eau et celles d’alcool se fera facilement, ce qui explique la rapide et complète dispersion des deux substances l’une dans l’autre. En revanche, si le solvant n’est pas associé alors que la substance que l’on veut dissoudre l’est, ou inversement, aucune association ne pouvant se former entre les deux types de molécules, la substance associée ne se dispersera pas dans l’autre. C’est le cas de l’eau et d’un hydrocarbure ou de l’eau avec un thiol (CH3SH par exemple).D’autre part, au voisinage du zéro absolu, l’entropie d’un cristal tend vers une valeur résiduelle S0 = k Log P par mole, k étant la constante de Boltzmann et P le nombre de configurations que peut prendre le cristal. Dans le cas d’un cristal moléculaire dont la cohésion est assurée par des liaisons A–H...A, si le proton est situé au milieu du segment A—-A, on a P = 1 et S0 = 0, mais, s’il occupe une position dissymétrique, plusieurs complexions sont possibles et S0 n’est pas nul. La détermination de l’entropie au zéro absolu permet donc de savoir si le proton est ou non à égale distance des noyaux A. La méthode a été appliquée à la glace où l’entropie résiduelle a été trouvée différente de zéro.À côté de ces renseignements qualitatifs, les méthodes thermodynamiques peuvent fournir d’intéressants renseignements quantitatifs. La cryométrie notamment, donnant la masse moléculaire des édifices présents dans la solution, permet de connaître leur structure et, en particulier, de savoir de combien de molécules libres ils proviennent. Par exemple, l’étude des acides carboxyliques en solution dans le benzène montre que l’on a affaire à des dimères.Méthodes spectroscopiquesBien que faible, la pertubation apportée aux molécules par suite de l’établissement d’une liaison hydrogène est suffisante pour modifier d’une façon sensible leurs caractéristiques spectroscopiques. En particulier, les constantes de force des diverses liaisons sont modifiées, ce qui entraîne une modification des fréquences de vibration du système. Le phénomène est particulièrement net en spectroscopie infrarouge et en spectroscopie Raman. La liaison O–H d’un alcool à l’état isolé a un nombre d’onde de vibration allant, selon la classe de l’alcool, de 3 500 à 3 600 cm-1. L’établissement d’une liaison hydrogène se traduit par un abaissement de ce nombre d’environ 50 cm-1. De même, le nombre d’onde correspondant à un groupement carbonyle dont l’atome d’oxygène joue le rôle de l’atome symbolisé par B est abaissé de 20 à 30 cm-1.Grâce à la spectroscopie d’absorption électronique, dans le visible ou dans le proche ultraviolet, on peut aussi étudier la liaison hydrogène lorsque les bandes d’absorption sont convenablement situées, comme pour les associations entre des phénols ou des naphtols, d’une part, et des éthers ou des amines saturées, d’autre part. Ces derniers étant transparents dans le visible et dans le proche ultraviolet, le spectre observé est dû seulement au phénol lui-même et au complexe phénol-éther ou phénol-amine.L’étude de l’intensité des bandes d’absorption, en spectroscopie de vibration ou en spectroscopie électronique, en fonction des concentrations et de la température, permet d’atteindre l’énergie mise en jeu dans l’association.Méthodes électriques et magnétiquesL’indice de réfraction, la constante diélectrique ou la susceptibilité diamagnétique d’une solution varient d’une façon linéaire avec la concentration d’un des constituants dans la mesure où la solution est idéale, c’est-à-dire où les diverses molécules qui la constituent sont sans interaction. Toute brisure dans la courbe de variation révèle l’existence d’une association. Grâce à la position du point anguleux, on détermine le nombre de molécules initiales entrant dans les associations. Cette méthode, extrêmement générale, peut être appliquée à des cas très divers.Résonance magnétique nucléaireLa résonance magnétique nucléaire, comme les autres méthodes, permet de déceler la présence de liaisons hydrogène par la modification de la valeur des constantes de glissement chimique de la raie de résonance du proton du groupement AH, mais aussi, grâce à la structure fine de la raie, de préciser la géométrie de l’association. La décomposition de la raie en plusieurs composantes est en effet liée à la disposition géométrique des noyaux de spins non nuls qui se trouvent au voisinage du proton étudié.Dans le cas de groupements contenant des noyaux d’hydrogène portés par l’atome A ou l’atome B et mobiles autour de la liaison correspondante (groupement CH3 par exemple), la variation, en fonction de la température de la constante de couplage entre les protons du groupement mobile et le proton intéressé par la liaison, permet d’évaluer la barrière d’énergie qui s’oppose à la rotation du groupement en question.2. Caractéristiques générales des liaisons hydrogènePeu de problèmes structuraux ont été autant étudiés que les liaisons hydrogène et pourtant il semble fort difficile, à partir de la masse des données expérimentales accumulées, de dégager les principales caractéristiques de ces liaisons, celles-ci variant d’une façon pratiquement continue sur de larges domaines.Par exemple, la distance entre les deux noyaux d’oxygène dans les associations O–H...O varie de 0,249 nm pour l’acide oxalique hydraté à 0,336 nm pour la chaux Ca(OH)2. En fait, la complexité n’est qu’apparente et n’est due qu’à la non-prise en considération de facteurs géométriques. Les caractéristiques de ces liaisons dépendent en effet essentiellement des possibilités de leur établissement. On devra distinguer les liaisons libres (celles dans lesquelles les molécules AH et B peuvent se lier sans qu’aucune gêne d’origine géométrique ou stérique ne vienne les empêcher de prendre leur disposition relative optimale) des liaisons contraintes , où des conditions géométriques viendraient, par exemple, imposer une torsion au système A–H...B, comme dans la plupart des liaisons intramoléculaires ou lorsque le groupement B est lié à plusieurs liaisons A–H, cas qui se présente dans certains cristaux. Pour dégager le caractère propre d’une liaison A–H...B de type donné, il faudra donc s’adresser à des exemples très particuliers pour lesquels le phénomène se rencontre à peu près exempt de perturbation.On voit, d’après le tableau 1, que les énergies mises en jeu dans des associations entre édifices neutres sont nettement plus faibles que celles des liaisons normales. Par exemple, dans les associations O–H...O, l’énergie n’est que le vingtième environ de celle d’une liaison O–H. La petitesse de ces énergies explique l’influence de la température sur la solidité de l’association. En revanche, on remarquera l’énergie notable de la liaison entre une molécule d’eau et un ion OH+3, conférant une stabilité importante à l’édifice correspondant, justifiant ainsi le degré élevé d’hydratation des protons dans l’eau liquide.Un autre fait à souligner est que la distance totale A—-B est inférieure à la distance minimale d’approche des deux édifices AH et B, en l’absence de liaison. Par exemple, pour la liaison O–H...O, la distance minimale entre les noyaux d’oxygène serait la somme de la longueur de la liaison O–H (0,10 nm) et de celles des rayons de Van der Waals des atomes d’hydrogène et d’oxygène (0,10 + 0,12 nm), soit au total 0,32 nm. Il en résulte que la rupture des liaisons hydrogène éloignera les groupements AH et B, provoquant ainsi une augmentation du volume qui peut, dans le cas d’un cristal, provoquer son éclatement.Il ressort d’autre part des longueurs totales rapportées sur le tableau 1 que la distance totale A—-B est d’autant plus courte que, pour une liaison A–H, l’électronégativité de B est plus élevée. Le cas des liaisons N–H...B est très net. L’existence de deux types de liaison O–H...O entre édifices neutres, longue ou courte, correspond à la différence de structure de la paire libre de l’atome d’oxygène jouant le rôle de B. C’est une paire décrite par une orbitale hydride sp 3 dans le premier cas, sp 2 dans le second (cf. LIAISONS CHIMIQUES – Liaison et classification).On remarquera aussi que pour un type de liaison donné, O–H...O par exemple, l’énergie mise en jeu est d’autant plus forte que la distance totale est plus courte. Le tableau 2 montre que, parallèlement, la longueur O–H est plus élevée, ce qui correspond à une perturbation plus importante.Enfin, l’abaissement des fréquences de vibration du système A–H varie pratiquement linéairement avec la distance A—-B, ce qui permet, pour un type de liaison donné, d’avoir immédiatement l’ordre de grandeur de la distance totale.3. Étude théoriqueLa liaison hydrogène entre dans le cadre général des interactions intermoléculaires ou intramoléculaires. À strictement parler, c’est le système global A–H...B que l’on doit étudier directement comme un édifice moléculaire unique. Cependant, étant donné qu’à l’intérieur de celui-ci on peut, en général, encore reconnaître les constituants A–H et B, le problème de l’association est envisageable dans le cadre d’une théorie des perturbations.Historiquement, les difficultés rencontrées dans le traitement direct de l’édifice global ont fait, jusqu’à ces dernières années, préférer le second point de vue. Dans cette optique, l’association des édifices A–H et B s’interprète par l’interaction électrostatique entre ceux-ci. La paire libre portée par le groupement B constitue un dipôle orienté du noyau vers H. Si la liaison A–H est polarisée dans le sens A- H+, elle sera attirée par le dipôle porté par B. De plus, sous l’effet du champ créé par la liaison A–H, le nuage électronique de la paire libre sera légèrement déformé, d’où l’apparition d’un moment induit qui viendra s’ajouter au moment initial et dont il faudra tenir compte dans le calcul de l’énergie d’interaction.Ce schéma d’interprétation, bien qu’il soit approché, a l’avantage d’être très parlant du point de vue chimique. Il permet en particulier de comprendre l’origine d’un certain nombre de propriétés fondamentales des liaisons hydrogène. Il explique, par exemple, que seules les liaisons A–H de polarité A- H+ de sens constant, comme O–H ou N–H, donnent toujours des associations, alors que des liaisons comme C–H, qui, selon les cas, ont une polarité inverse, n’en donnent pas toujours.Avec les hydrocarbures saturés, où, en général, l’hydrogène est négatif (C+H-), on n’aura pas d’associations, sauf si, sous l’effet induit par un atome fortement électronégatif comme le chlore, la polarité est renversée. C’est ce qui se produit dans le chloroforme Cl3CH qui donne des associations avec l’acétone. De même, une liaison sera possible avec l’acétylène ou l’acide cyanhydrique à cause de la charge nette positive de l’hydrogène. Ainsi s’explique la solubilité de l’acétylène dans l’acétone. La faible polarité des liaisons S–H et encore plus celle des liaisons Se–H et Te–H expliquent que les molécules SH2, SeH2 et TeH2 ne sont pas associées à l’état liquide.Le modèle électrostatique justifie aussi la corrélation qui existe, d’une part, entre la distance totale A—-B et, d’autre part, l’énergie d’association, ainsi que l’allongement de la liaison A–H. En effet, plus les dipôles sont rapprochés, plus l’interaction et, par suite, la perturbation seront fortes.Enfin, ce modèle explique que le maximum de stabilité, qui correspond à l’alignement des dipôles, exige que la liaison hydrogène soit linéaire en l’absence de contrainte extérieure, sans pour cela la rendre impossible dans ces derniers cas.Le perfectionnement des méthodes théoriques et du calcul électronique conduit à l’heure actuelle à un traitement direct satisfaisant de l’édifice global, dans les cas où les édifices A–H et B ne sont pas trop volumineux. Un certain nombre de travaux ont été faits dans ce sens, déterminant l’énergie du système en fonction des divers paramètres géométriques du système, permettant ainsi de connaître la configuration la plus stable et l’énergie correspondante. Les associations du type O–H...O et O–H...N ont surtout été étudiées. Les calculs montrent bien que le système le plus stable correspond à l’alignement des noyaux A, H et B. Les énergies obtenues sont en très bon accord avec l’expérience. On vérifie aussi que les distances A–H sont légèrement augmentées, mais qu’on peut encore, malgré tout, considérer qu’il existe une paire d’électrons pratiquement localisée entre les noyaux A et H, c’est-à-dire parler encore de la liaison A–H. Mais les calculs indiquent toutefois un léger transfert d’électrons, de la paire libre B, vers la liaison A–H.Un cas particulier intéressant est celui où les groupements A et B sont électroniquement identiques, comme dans l’ion (FHF)- ou dans l’association (H3N–H–NH3)+. L’expérience montre, en accord avec le calcul, que dans (FHF)- le proton est à égale distance des noyaux fluor. Les caractéristiques de la liaison F–H isolée ont complètement disparu. On ne peut plus parler d’association par liaison hydrogène. On est en présence d’un édifice nouveau qu’il faut nécessairement considérer dans son ensemble. En revanche, dans (H3N–H–NH3)+ , le proton n’est pas situé à égale distance des azotes mais peut osciller entre deux positions symétriques.4. Importance des liaisons hydrogèneMalgré les faibles énergies mises généralement en jeu dans les liaisons hydrogène, le rôle qu’elles jouent du point de vue structural est très important. En effet, ce sont elles qui assurent la cohésion de nombreux cristaux de type moléculaire (glace, alcools, phénols, oxacides, hydroxydes, sels hydratés, etc.) et qui, pour une part importante, sont responsables des associations entre les diverses bases fondamentales entrant dans l’édification des acides nucléiques ainsi qu’entre les protéines pour constituer les tissus vivants (cf. biologie MOLÉCULAIRE, PROTÉINES).Du point de vue chimique, l’établissement de liaisons hydrogène peut altérer assez profondément le comportement des molécules. Par exemple, dans la série des phénols substitués:la liaison intramoléculaire O–H...N réduit la réactivité du groupement C=N jusqu’à le rendre inerte vis-à-vis de certains réactifs caractéristiques de celui-ci.La présence d’une liaison intramoléculaire dans un acide carboxylique, mettant en jeu le groupement C=O, exalte en général l’acidité de la molécule. En effet, l’énergie de liaison dans l’ion est supérieure à celle de la liaison dans la molécule, à cause de la charge nette négative apparue sur l’oxygène. Par exemple, l’acide salicylique a une constante d’acidité égale à seize fois celle de l’acide benzoïque. Si, au contraire, c’est le groupement OH de l’acide qui est impliqué dans une liaison intramoléculaire, par suite de la présence en position convenable d’un atome électronégatif pouvant jouer le rôle de B, le départ du proton sera plus difficile et, de ce fait, l’acidité sera diminuée. C’est le cas des acides benzoïques orthohalogénés dont l’acidité augmente au fur et à mesure que l’électronégativité de l’halogène diminue, c’est-à-dire que la liaison est moins solide.
Encyclopédie Universelle. 2012.